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Pratiques RH revisitées

Enregistrement et gestion du temps

L’enregistrement et la gestion du temps font presque naturellement partie du ‘paradigme de contrôle’ et, bien entendu, ne conduisent pas l’usage autonome de son temps et de ce qu’on fait pendant ce temps. Le processus ‘uniformise’ le jour de travail pour tout le monde comme ‘nine to five’, éventuellement avec quelques degrés de liberté sous forme d’heures glissantes. Au fur et à mesure que le travail se dissocie d’un lieu et d’un horaire ‘fixe’, vous voyez que la pointeuse classique se fait remplacer par d’autres systems (par ex : logging sur son ordinateur a domicile). Dans cette article, nous nous posons ces quatre questions:

  • Quelles sont les pratiques les plus courantes?
  • Quels principes, hypothèses et valeurs sont derrière cela?
  • Quelles sont les conséquences pour l’individu et l’organisation, pour la performance, la flexibilité et la puissance d’innovation (générativité)?
  • Que pouvez-vous faire différemment et comment cela favorisera-t-il la capacité générative de l’organisation et l’autonomie des collaborateurs?

Qu’est-ce qu’on voit dans la réalité ?

Les pratiques suivantes sont (encore) utilisées aujourd’hui:

  • La pointeuse qui enregistre l’entrée des collaborateurs au bâtiment (souvent en combinaison avec un système de contrôle d’accès)
  • Enregistrement des heures auxquelles un employé est connecté et déconnecté sur une machine, un ordinateur, un logiciel, etc.
  • Les informations de l’enregistrement du temps sont utilisées pour déterminer les congés, les congés compensatoires, etc., mais elles sont souvent également utilisées pour réduire les salaires en cas ou les gens sont arrivés en retard au travail
  • Le suivi du temps est également utilisé pour la rémunération des heures supplémentaires (si les personnes y ont droit)
  • Il y a aussi des systèmes qui permets aux collaborateurs de suivre leur répartition de temps tout au long de la journée, afin d’optimaliser leurs activités. Cela peut être partagé avec leur manager ou non. En principe, il ne s’agit pas contrôler si quelqu’un arrive à temps au boulot.
  • L’enregistrement du temps (donc pas de contrôle de présence) est également souvent utilisé pour calculer le prix de revient d’un projet ou pour déterminer combien de temps peut être facturé en interne ou en externe.
  • Une forme spécifique de contrôle du temps existe dans les cabinets de conseil qui travaillent avec des objectifs en termes d’heures facturables. En d’autres termes, les consultants doivent effectivement pouvoir facturer un pourcentage prédéterminé de leur temps de travail à des clients externes à la fin du mois. Cette forme spécifique de contrôle du temps a également des conséquences très spécifiques.
Quelques points ressortent:
  • Plus qu’on a une position plus haute dans la hiérarchie, moins on sera vérifié sur le temps de travail
  • Il y a des organisations qu’introduisent ces systèmes, d’autres qui les abolirent et il y a même des organisations que réintroduisent ces systèmes après les avoir abolis.
  • Souvent, l’équité est utilisée comme un argument pour garder une trace du temps (même s’il est difficile d’expliquer pourquoi les travailleurs devraient pointer et le management pas)

Quelle ‘théorie en usage’ est derrière ces Pratiques ?

Les principes a la base du ‘contrôle de présence’ (et les sanction comme perte de salaire, par exemple), date du début de la révolution industrielle, où les gens étaient souvent payés à l’heure dans une atmosphère très ‘transactionnelle’ (un échange de temps pour argent). « Vous travaillez pour moi pendant une heure, puis vous recevez un (petit) salaire et donc si vous arrivez en retard, je le déduirai de votre salaire ». Les propriétés du paradigme sous-jacent sont assez claires :

  • La méfiance dans la relation ‘travailleur – patron’
  • Le travail est une activité purement transactionnelle : échange de temps contre salaire et avec deux parties qui vont chacune se faire chier (voler du temps, ou essayer de se soustraire aux salaires ou autres coûts liés aux conditions de travail). Cette idée est également à l’origine de l’arrêt de la Cour européenne (2020). Il s’agit de collecter des preuves contre la partie adverse (prouver que j’ai droit aux heures supplémentaires, ou prouver que la sanction contre cet employé est justifiée, etc.)
  • Le temps de travail est l’aspect qui compte (beaucoup moins que la qualité), donc l’accent est mis sur la présence et non sur la contribution utile.
  • Plus le salaire est bas, plus les gens sont considérés peu fiables et plus ils ont besoin d’être surveillés (même si ce sont précisément ceux qui ont le moins de chances de commettre de graves fraudes)
  • L’entreprise appartient à la partie que ‘investit de l’argent’. Investir de l’expertise, de l’inventivité, de passion et donc aussi du temps de travail vous donne droit à un salaire, mais cela ne fait pas de vous un partenaire actif, pas fiable et ainsi le propriétaire doit vous contrôler
  • Les gens travaillent à partir d’une motivation extrinsèque (argent, sécurité, …) et non parce qu’ils sont intéressés à contribuer aux ambitions de l’organisation, sont passionné par la technologie appliquée ou parce qu’ils veulent développer leurs talents.
  • Il y a une théorie des ‘gens merdiques’ (crappy people) derrière cela, selon laquelle les gens qui arrivent en retard sont des voleurs, pas motivés, etc.

Quelles sont les consequences?

Beaucoup dépendra, bien entendu, de la manière dont l’enregistrement de présence est appliqué dans les faits et des conséquences attachées à la mesure. La communication autour de cela peut également faire une grande différence en termes d’impact. Beaucoup depend de la culture organisationnelle, si oui ou non cette enregistrement a un effet négatif sur la motivation intrinsèque (autonome) des collaborateurs. Mais si elle est perçue comme un «moyen de coercition», un gros bâton, elle aura des conséquences contre-productives. Quelques éléments spécifiques:

Qu’est-ce qu’on en dit sur Internet ?

La Cour Européenne de Justice constate que, en l’absence d’un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier de chaque travailleur, il n’est possible de déterminer de façon objective et fiable ni le nombre d’heures de travail effectuées ainsi que leur répartition dans le temps ni le nombre d’heures supplémentaires, ce qui rend excessivement difficile, sinon impossible en pratique, pour les travailleurs de faire respecter leurs droits. (https://www.lexalert.be/)

La gestion des présences est le processus de prévention du vol de temps des employés en suivant les heures de travail des employés, l’heure de connexion, les départs, les pauses et les congés. Les organisations utilisent un certain nombre de méthodes, des cartes perforées et des feuilles de calcul aux systèmes automatisés de gestion des présences et aux dispositifs biométriques pour gérer la présence des employés.(https://kissflow.com/)

Source : https://blog.peoplespheres.com/
Source : https://www.payscale.com/

  • Les gens se sentiront «surveillés» et trouveront toutes sortes d’astuces pour battre le système. Par exemple: d’abord pointer, ou démarrez l’ordinateur puis allez aux toilettes pour vous raser ou alors seulement garez votre voiture ou mettez vos vêtements de travail.
  • L’employé raisonnera également à partir d’une motivation extrinsèque et cela deviendra progressivement plus important que toute motivation intrinsèque.
  • Ca renforce généralement la relation purement transactionnelle ou tout devient ‘donnant-donnant’
  • L’employé est limité dans sa flexibilité pour pouvoir combiner le travail et ses obligations privées (s’éloigner du travail pour aller chercher l’enfant malade à l’école puis rédiger ce rapport le soir …)
  • Cela élimine complètement la flexibilité du système. Le collaborateur commence a à regarder l’horloge. Si un client rencontre un problème urgent juste avant l’heure de fermeture (et l’heure de départ), un employé qui vient de perdre une partie de son salaire parce qu’il était en retard le matin, se demandera pourquoi il devrait être flexible maintenant et faire des heures supplémentaires non rémunérées, pour aider un client.
  • Cela détourne complètement l’attention de l’essentiel : « qu’est-ce que je fais ici? », « Comment puis-je contribuer a l’organisation, a la qualité pour nos clients? »
  • L’autonomie, l’appropriation du professionnel pour remplir sa journée et ses tâches ont disparu

La pratique des objectifs en ‘heures facturable’ ont des conséquences très spécifiques:
  • Tout ce qui n’est pas ‘facturable’ passe au deuxième plan
  • Le manager et le consultant eux-mêmes auront tendance à abandonner tout ce qui n’est pas urgent (mais peut-être très important) au profit d’activités facturables’
  • Les réunions, la consultation interne, l’intervision, l’échange de connaissances entre consultants, accompagner consultant expérimenté pour son propre développement, etc. seront mis sous pression
  • Le propre développement du consultant est reporté jusqu’on a rien ‘facturable’ à faire.
  • Cela empêche les consultants expérimentés d’investir dans le coaching, le partage des connaissances, etc … des consultants plus jeunes précisément parce que leur temps peut être presque entièrement facturable (car ce sont des consultants experts expérimentés) et de plus au tarif fort.
  • Les consultants se concentreront beaucoup sur eux-mêmes, et sur leurs propres projets parce qu’aider leurs collègues, faire du brainstorming pour débloquer un autre projet, etc. se fait au détriment de leurs propres heures facturables (et donc les gens sont punis pour cela)
  • La qualité du travail de conseil ou d’animation délivré en souffre aussi souvent car les travaux d’étude, la préparation, le temps de réflexion, etc … ne sont souvent pas facturables (ou seulement limités) et il y a donc une grande tentation de préparer la formation de trois jours le plus brièvement possible, parce que les trois jours sont payés, mais l’investissement en préparation ne l’est pas.
  • Est démotivant pour les personnes qui veulent se développer et évoluer vers des projets de consultance plus ‘riches’. Ils seront plus facilement déployés sur des projets routine, bien dans leurs cordes, car c’est facturable tandis que leur participation dans des projets pour lesquelles ils n’ont pas déjà l’expertise (entant que formation) ne seront souvent pas ou pas entièrement facturables.

Que peut on faire différemment?

La réponse simple est : arrêtez-le ! De nombreuses indications montrent que la suppression des contrôles de présence augmente la productivité (et ne la diminue donc pas comme on le pense souvent) et que les gens n’abusent pas de cette responsabilité. Bien sûr, cela ne signifie pas que l’on n’est pas responsable de ce que l’on fait et de sa contribution à l’organisation. Donc en fait, il s’agit principalement de remplacer l’attention sur le TEMPS par l’attention pour la CONTRIBUTION. Cela peut être fait de plusieurs manières.

Une liste tout sauf exhaustive:

  • Lancer un processus de dialogue avec toutes les parties prenantes (et au moins tous les employés de l’organisation) pour formuler une ambition très ‘invitante’ et partagée dans l’organisation (image générative). Cela motivera les gens à faire ce qu’il faut, sans avoir à être contrôlés.
  • Développer également le sentiment d’appartenance (aussi en dehors de ce dialogue), en donnant aux gens une grande marge d’initiative, mais aussi en faisant beaucoup travailler ensemble des professionnels en équipes et en réseaux. De cette manière, le transactionnel est remplacé par se sentir responsable les uns des autres et cela sera sans aucun doute beaucoup plus motivant.
  • Créer une culture de confiance et d’ouverture, pour que les personnes en difficulté (et donc enclines à essayer d’éviter un éventuel contrôle de présence) puissent en parler entre elles, avec les managers, dans l’équipe pour qu’ils peuvent être aidés et soutenus dans leurs moments difficiles.
  • Parler en toute transparence de la contribution de chacun en équipe en installant des formes collectives de gestion de la performance dans lesquelles les équipes font régulièrement une évaluation de fond de la façon dont elles contribuent à l’organisation en tant qu’équipe et se donnent également du feedback sur la façon dont elles ont vécu la contribution de l’autre au cours de la période écoulée et comment on pourrait s’entraider, investir dans le développement, partager connaissances et informations, etc …

Ensuite, une situation complètement différente se présente:

  • Nous sommes collectivement et réciproquement responsables et nous avons une perception beaucoup moins de ‘nous ↔ eux’
  • Ce n’est pas l’employeur qui contrôle l’employé, mais une culture de responsabilité
  • Il est basé sur la confiance et l’ouverture les uns aux autres (les choses doivent pouvoir être dites) au lieu de la méfiance et la tentation de dissimuler les choses (par exemple, en passant la pointeuse avant de se raser)
  • Le temps devient sans importance, ce qui donne beaucoup plus d’autonomie individuelle et la possibilité de rendre les gens propriétaires de leurs choix en termes de temps et lieu de travail.

Plus d’Information

Outres des explications techniques sur les différents systèmes de pointage, on a trouvé très peu d’articles en Français qui discute le contrôle de présence en soit. On partage avec vous quelques articles en Anglais

  1. Beckers,D. Kompier,M. Kecklund,G. & Härmä,M., (2012). Worktime control: theoretical conceptualization, current empirical knowledge, and research agenda. Scandinavian Journal of Work, Environment & Health 38(4):291-7 LINK
  2. Mc.Kinsey., (2013). Making time management the organization’s priority LINK

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